L'interprétation ne vient qu'ensuite ; mais pour le spectateur-palpeur, (ici on a le droit de toucher à pleines mains les corps noueux des femmes de bronze ou les figures déchirées des masques), le fil conducteur se déroule aisément : l'Homme selon Shayevitz est double. Il vogue de la mémoire au quotidien le plus trivial, oscille entre l'exhibition et le repli sur soi, hésite entre la méfiance et l'espoir, vacille sous les assauts de la douleur et se réchauffe aux moindres rayons d'un bonheur trop chichement compté.
Cette dualité, c'est peut-être dans le travail sur la maternité quelle s'exprime de la façon la plus simple, la plus émouvante aussi. Sur la toile, les presque-mères ont le corps droit et le visage serein, mais la lumière est jetée sur elles comme une impudeur ; et les hommes qui les accompagnent les côtoient sans les comprendre, les touchent sans les atteindre. Les tout juste-mères, elles semblent s'être rabattues par défaut sur leur petit. Au gré des sculptures, enfin, les futures mamans semblent attendre l'événement avec un vague ennui et parfois ployer tout entières sous le poids dune souffrance indicible. La courbe de leur nuque a beau offrir l'image même de la vulnérabilité, il émane de leur dos vallonné une étonnante force, un pouvoir. Sans doute est-ce dû à cette vie qui se prépare, à cette évidence absolue qu'est la maternité. Il existe, en tout cas, sur ces visages qui se dérobent, une étrange tension.
Est-ce là, précisément, qu'apparaît le lien entre ces corps nus - d'une nudité si crue quelle est dépourvue de toute sensualité autre que symbolique - et les toiles plus anciennes qui donnent à voir une Jérusalem à la frontière des temps ? On y retrouve ce mélange de réalisme quant au sujet - la communauté juive orthodoxe - et de détournement audacieux des couleurs et des lumières. Ici les corps sont presque toujours représentés de dos, penchés, la nuque en va-et-vient ; ils laissent parfois leur ombre longue et pâle sur le Mur. Ici, encore, la souffrance se lit dans les mouvements incantatoires de ces hommes de foi. Ici, enfin, la force et la paix se dégagent de la continuité des pratiques, de la transmission d'une infinie sagesse ; comme un baume sur les plaies à jamais béantes d’un peuple.