Parce qu’il est passeur de mémoire, l’Artiste dit la vitalité des fruits et la sensualité débridée des coquillages, le vertige des tiges qui se lancent à l’assaut du ciel, l’angoisse diffuse des métaux tissés et de leur rouille qui raconte le temps qui corrode. Tout est affaire de temps, de vie et de mort. Tout rappelle au passant indiscret de ce voyage en regard que, dans l’immobilité inquiétante des mannequins privés de rôle et la fixité troublante de leur regard sans âme, le photographe insolent perçoit la métaphore déconcertante d’une nature sans âge.
Dans ce voyage démultiplié sur les avatars du vivant, le découvreur se fait historiographe de son propre passé, emboîté, encastré dans sa réminiscence, entre deuil et amusement, dans la naïveté très concertée de l’enfant déjà mûr qui se refuse à déposer les armes de ses indignations. Alors il se met en boîte(s) dérisoires, nostalgiques ou désabusées, dans un parcours d’une lucidité chronologique comme ça, en passant, sans y toucher tout en appuyant perfidement sur le corps du délit et les bleus de la désillusion. Des boîtes comme arcanes matériels du théâtre, entrouvertes sur les coulisses de sa magie, sur les artifices du plaisir, sur le rêve et ses pans de vie entrevus, sur les anecdotes lumineusement vitales.
A ces volumes en illusions répond, en creux, l’élégance arborescente des entrelacs métalliques où la lumière folâtre autour de l’objet et s’en amuse. Non content de porter la découpe, le mur se démultiplie et tente de fuir, dans l’infinie torsion, ce métal qui le fouaille. Reste l’essentiel éphémère. Impalpable dans la finesse de ses lignes, la ferraille se fait torture d’ombre sur le mur-en-ciel où les golems s’échappent dans le tango des séductions mouvantes et jubilatoires. Chut ! écoutez le jeu de l’ombre, et que danse le rabbin rouillé dans le baiser impatient des amants, tous ne sont qu’illusions qui mènent au cœur de soi.
Tel le double mosaïque de ce carré d’initié, telle l’iridescence de ces nuances d’automne dont s’ornent les tapis qui se refusent à nos foulées moelleuses et nostalgiques. Les doigts parcourront de leur pulpe attendrie la tendresse laineuse de ces carrés magiques.
Demeure l’éphémère si essentiel, le jeu, le fluide, l’évanescent. Comme ces patchworks où se recompose un autre ordre du monde, si quotidien dans la souplesse du vêtement, si étonnant dans l’ambiguïté de ses couleurs.
A l’aune de ces duos contrastés où s’imbrique, dans une symbiose orange et bleutée, l’éternité des couples.
Et on sort de cette échappée-belle en formes et couleurs, comme saoulé de beauté tactile, courbatu et revigoré par ce festin des sens, dans un regain de faim de vivre.

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