Annick Drogou, philologue essayiste, Décembre 2009

La ferveur se love au dépli du châle, sur ces têtes inclinées vers une intimité que nul silence ne viendrait troubler. Le talith se fond dans la pierre, absorbe les boucles distendues de l’enfant et la barbe neigeuse du vieillard, au cerne des méandres déconstruits de cette aura de piété. Dans la sensualité de ses drapés, il raconte l’enchevêtrement de la lumière orangée et de l’esprit bleuté, comme une invitation fascinée à l’enthousiasme et la sérénité. Où s’arrête la matière, où commence son osmose avec les corps qu’elle enserre et nourrit ?
Les visages de pierre dorée sculptent la mémoire inextinguible et le bleu flamboyant de l’Etoile de David clame vers les ciels le frémissement vital.
Boucles et barbes mousseuses nichées dans la prière, doigts posés sur la force vive de l’éternelle parole, ferveur des mains qui se font lueur aux abords des bougies de Shabbat, on y lit les rides et les cicatrices, tout un passé, tout un peuple.
Chez Shayevitz, tout est prière avec ou sans dieu, ode au mouvement, élan et envol impossible, dans la torsion des corps vers ce désir hors d’atteinte ; comme un dépliement, un déploiement.
Telle une vague qui se love en elle-même, narcissique jusqu’à la courbe autarcique. Ecartèlement à la fois souple et douloureux de ces femmes aux cuisses lourdes et généreuses, dans une imbrication qui les soude à la terre. Et leurs bras graciles, en s’ancrant dans l’opulence de la poitrine, cherchent l’aérien. Et ils se font arc-en-ciel sur le chaos improbable de la croupe. Le ventre fécond livre parfois le secret emboîté, son enfant, sa raison d’être. Et la main se tend, incoercible, pour intimer le silence dans la clarté complice des aubes maternelles. Où le regard extérieur, voyeur, trouverait-il place dans cette suffisance de la tendresse ? On se sent un peu envieux, exclu de ces épousailles de la connivence primordiale. Alors, on caresse de la pulpe des doigts, on soupèse dans l’ampleur de la main, on emplit à nouveau de son prolongement évident le ventre un instant déserté. Au cœur des creux, à l’intime des pleins, comme un défi sans cesse jeté à l’usure des amours, dans l’immuabilité du bronze. Ventre insolent et naïf, tendu sur la vie qui sourd, ventre de maternité égéenne aux rondeurs musicales de violoncelle. Même torturé, même raidi frileusement, le corps semble si intimement porteur d’une pulsion vitale, à la fois tellurique et cosmique, jusqu’à l’hystérie des membres en chaos. Et lorsqu’il s’alanguit dans un repos affiché, on ne le sent qu’en halte fébrile.

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